Témoignages d’adhérentes #2

Témoignage de Claire Rabès pour SPAF
Claire RABES

Senior Manager en charge du Protocole au Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024

PARLE-NOUS DE TON PARCOURS PROFESSIONNEL ET DE TON ENGAGEMENT DANS LE SPORT !

Passée par Sciences Po Lille et le Collège d’Europe, j’ai d’abord testé le rythme des institutions européennes avant de rentrer en France en 2012. Attachée parlementaire à l’Assemblée nationale puis conseillère parlementaire, j’ai connu les cabinets des ministères de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, des Affaires étrangères puis de l’Intérieur jusqu’en 2017. Expérience extrêmement formatrice, qui m’a permis de comprendre la réalité de la création des politiques publiques et leur mise en place. Je crois profondément que la politique doit être au-dessus de l’administration pour décider des orientations et prendre des décisions ayant un impact sur les gens. Cette expérience a renforcé cette conviction. La politique doit être un levier d’action essentiel.


J’ai ensuite fait le choix de poursuivre mon parcours dans le monde du sport, plus particulièrement des entreprises pour découvrir un monde et des enjeux que je connaissais mal dans le secteur privé. J’ai choisi le sport pour son pouvoir de transmission des valeurs auxquelles je crois : égalité devant l’effort, persévérance pour se dépasser mais aussi des défis avec l’accessibilité pour développer le sport pour toutes et tous et le financement pour trouver des moyens de poursuivre la politique publique de développement du sport, notamment du point de vue des équipements. Il était important pour moi de faire mes premiers pas dans le secteur privé dans un milieu où je pouvais me retrouver sur les valeurs. Le secteur du sport étant souvent peuplé de personnes passionnées, cela me paraissait être un moyen de m’engager sereinement. 


J’ai créé ainsi la direction des affaires publiques et relations institutionnelles de l’UNION sport et cycle qui est, comme son nom ne l’indique pas, la fédération professionnelle des entreprises du sport (fabricants et distributeurs) et de la mobilité active. Nouvellement créée en 2017 par la réunion de trois syndicats préexistants, il était important de structurer la stratégie institutionnelle de la fédération. J’ai tendance à reprendre l’exemple suivant : pour jouer au tennis, vous n’avez pas forcément besoin d’une licence dans un club de tennis de la fédération mais vous irez forcément dans une entreprise acheter une raquette. Les entreprises sont ainsi des acteurs clés, d’autant qu’elles prennent une place de plus en plus importante et hybride. L’exemple le plus parlant étant les magasins d’équipements de running qui proposent désormais des courses organisées ; ou Décathlon qui devient aussi un centre de cours de yoga, de réparation de vélo ou de départ de courses à pied. La montée des pratiques non encadrées, aussi avec les outils numériques, ouvre les possibilités mais posent aussi le risque de l’éloignement de publics qui ne seraient pas suivis dans la durée, principalement les femmes qui connaissent beaucoup de ruptures dans leur pratique, à l’adolescence d’abord puis au moment des grossesses. 
Les inégalités sont également un point d’interrogation majeur dans le développement des nouvelles pratiques car les « loisirs marchands » (salles d’escalade, foot à 5, padel, etc.) restent chers pour les pratiquants. La liberté de la pratique est donc liée au pouvoir d’achat et cela touche encore les publics les plus éloignés, dont les femmes font partie. 


J’ai ensuite continué mon action auprès des entreprises en prenant la direction générale d’une nouvelle structure là aussi, le groupement d’intérêt économique (GIE) France Sport Expertise. L’objectif pour les entreprises de l’événementiel et de l’industrie du sport est de fonctionner comme une Équipe de France des entreprises afin de rassembler leur savoir-faire et gagner collectivement des marchés à l’étranger. Pour moi, l’objectif était aussi d’assurer pour la première fois une mission de direction générale. Je trouve ce poste particulièrement intéressant parce qu’il mêle stratégie, organisation et prise de décision. 
Au-delà de la pure course aux marchés, France Sport Expertise pose la question de l’influence du modèle français du sport, par les fédérations et l’apprentissage du sport pour toutes et tous. Ainsi, gagner des marchés est indissociable d’une stratégie d’influence forte, par exemple pour pousser l’intégration de critères de développement durable dans les cahiers des charges des fédérations. Ce sont ces enjeux, mêlant passion du sport, relations internationales et impact que je trouve passionnants. Encore une fois, les publics éloignés sont les plus ciblés. A juste titre, les projets de féminisation du sport, éligibles aux coopérations décentralisées ou aux fonds de développement, sont nombreux car c’est là aussi que réside un enjeu majeur : faire bouger les filles et les femmes est un nouveau public, un nouveau marché et un moyen de toucher la pratique sportive de la famille. 


Pendant ce temps, l’appel des Jeux, dont la candidature m’avait occupée dès mes fonctions au ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a été fort… et entendu. J’ai ainsi intégré le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en avril 2023, sur le poste de Senior manager en charge du Protocole, en remplacement de Samuel Ducroquet, nommé Ambassadeur pour le Sport. Plus particulièrement, je suis en charge du protocole des chefs d’Etat et de gouvernement et des ministres des Sports étrangers qui viennent aux Jeux Olympiques et Paralympiques représenter leur délégation d’une part et des responsables politiques français engagés sur les Jeux, notamment la Mairie de Paris, le gouvernement ou la région Ile-de-France. 

Claire Rabès avec la Phryge, mascotte Paris2024.

Les milieux professionnels dans lesquels j’ai évolué, que ce soit la politique ou le sport, sont principalement masculins. Si les femmes y sont présentes, et de plus en plus, les postes de direction restent majoritairement occupés par des hommes. J’ai eu la chance au COJOP d’être managée par deux femmes, ce qui sert véritablement de role model. C’est essentiel pour se projeter d’expérimenter le leadership féminin. Lire, écouter des témoignages est utile mais le tester est important car cela met en situation. 
Je suis persuadée qu’il nous reste encore beaucoup de chemin et que les femmes doivent faire du sexisme une lutte quotidienne. Ce n’est malheureusement pas fini car nous devons nous-mêmes nous battre contre ce que l’on nous inculque. Les stéréotypes ont la vie dure et les femmes sont plus facilement attaquées sur leur mode de leadership et leurs décisions. Je ressens souvent une implication importante de la part des femmes, ce qui est une force mais ce qui peut aussi être une source de déception quand la reconnaissance se fait attendre, par exemple sur les promotions, les titres ou le salaire. Si ce ne sont pas les éléments essentiels d’un job, ils en font partie intégrante, ce que nous avons souvent tendance à minimiser de part notre éducation notamment. 


Le monde professionnel du sport évolue à l’international et en France, grâce aux dernières lois qui ont été votées, par exemple la loi de 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, puis plus récemment en 2022 sur la démocratisation du sport. Ce sont des jalons mais cela ne suffit pas : il faut changer les mentalités et le sport est ici un secteur comme tous les autres. Je ne crois pas en la spécificité du secteur sport. Nous rencontrons les mêmes obstacles pour les femmes, dans le milieu professionnel – des inégalités salariales, un plafond de verre pour les postes de direction ; dans le milieu des athlètes – diffusion du sport et droits TV ; dans le milieu de la pratique – la charge familiale se faisant aussi au détriment de la pratique.


Le partage de valeurs doit être encouragée entre les femmes. Le soutien est de plus en plus vrai mais il faut encore le renforcer. Il nous faut partager l’information, échanger pour ne pas se sentir seule face aux difficultés rencontrées, diffuser les opportunités. L’entre-soi masculin existe, dans le sport de manière historique ; si nous ne souhaitons pas le reproduire, il nous faut néanmoins en être consciente pour tenter de renverser la pyramide.