Portrait du réseau #46 : Hélène Strag

Il faut constituer une vraie force féminine car les forces des hommes sont tellement ancrées qu’il faut montrer qu’on peut faire des choses intéressantes. Il faut qu’on prenne de la place et s’il faut des lois, des quotas pour cela, profitons-en pour inventer un nouveau modèle de société. Je suis persuadée qu’on a en nous un autre modèle.
Hélène Strag

Diplômée de Sciences Po Grenoble, mais aussi de l’ENA ou encore de l’ENSSIB, Hélène Strag a eu plusieurs vies professionnelles. Après une carrière dans l’administration, elle met sur pause la fonction publique afin de développer son activité de scénariste.
En 2020, elle publie la BD Le Manifeste des 343 : L’Histoire d’un combat, une œuvre rendant hommage aux femmes qui ont pris tant de risques pour qu’en France, on puisse toutes profiter du droit à l’avortement. Engagée pour le droit des femmes, Hélène nous partage son expérience, ses réflexions et son engagement !

PARLE-NOUS DE TON PARCOURS ACADÉMIQUE ET PROFESSIONNEL !

Directement après le baccalauréat, j’ai fait l’Ecole normale d’instituteurs donc j’ai été institutrice et en même temps, j’ai suivi des études de lettres à la fac. J’ai passé le CAPES de lettres modernes et j’ai donc été prof pendant un an. J’ai ensuite intégré l’ENSSIB (Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) à Villeurbanne pour passer le concours des conservateurs de bibliothèques. En parallèle de l’ENSSIB, j’ai suivi un DESS à l’IEP de Grenoble portant sur la direction de projets culturels. Mon objectif était vraiment de travailler dans le milieu culturel. Après mon diplôme, j’ai travaillé comme conservatrice à la bibliothèque municipale d’Amiens puis à la bibliothèque universitaire d’Amiens toujours. J’ai finalement préparé et obtenu le concours de l’ENA. J’ai rejoint l’administration de la ville de Paris, d’abord à la Direction des espaces verts et de l’environnement. Je faisais de l’écologie urbaine, ce qui était assez précurseur à l’époque. On a lancé le premier plan climat de Paris, on éduquait à la protection de l’environnement. J’ai ensuite intégré la direction des affaires culturelles, j’ai dirigé le réseau des bibliothèques de la ville de Paris, soit plus de 70 bibliothèques.

Y AVAIT-IL UN FIL CONDUCTEUR ENTRE CES EXPÉRIENCES VARIÉES ?

Oui, j’étais animée par le fait de transmettre la culture et l’éducation afin de participer à la vie de la cité. Je voulais apporter au public quelque chose qui lui permette de réfléchir, de se divertir, de progresser.
Après la Direction des affaires culturelles, je suis partie deux ans en Nouvelle-Calédonie et à mon retour, j’ai rejoint la Direction des familles et de la petite enfance. Lorsque j’étais en Nouvelle-Calédonie, je me suis remise à écrire. J’écrivais déjà des scénarii depuis longtemps mais j’avais mis ça de côté. Sauf que là j’avais l’occasion de recommencer à écrire puisque je n’avais plus d’emploi de fonctionnaire. En rentrant, j’avais l’objectif de faire de mon activité d’autrice quelque chose d’un peu plus professionnalisé. Après mon travail dans la petite enfance, je me suis mise en disponibilité. C’était il y a 5 ans et je le suis toujours pour écrire des scénarii professionnellement.

COMMENT AS-TU FAIT POUR PASSER D’UN MILIEU PROFESSIONNEL A UN AUTRE ?

Le milieu créatif, de l’édition n’est pas simple à pénétrer mais j’ai réussi à progressivement me constituer un réseau. Pour cela, il n’y a pas de secret, il faut aller partout, là où se trouvent les gens, intégrer les associations professionnelles, rencontrer des femmes. Les personnes qui m’ont fait confiance sont toutes des femmes : la co-autrice de la BD Adeline Laffitte que j’ai rencontrée lors d’un festival de court-métrage, notre éditrice chez Marabout Sophie Chédru. Deux productrices sont aussi venues vers moi : Hélène Cazes, qui a d’ailleurs fait Sciences Po et qui m’a commandé une série sur le MLF, puis Dominique Guérin de Ping & Pong Productions avec qui je travaille en ce moment sur un projet traitant de problématiques féminines. Ce sont deux femmes engagées pour la défense du droit des femmes, leur objectif est de parler de sujets dont on ne parle pas forcément. Les hommes dominent la parole, disent de quoi il faut parler. Dominique Guérin est d’ailleurs à la tête du réseau médiaClub’Elles qui promeut la sororité dans l’audiovisuel. Quand on sait qu’il n’y a que 25% de réalisatrices alors que 50% des élèves de la Fémis (école d’audiovisuel) sont des femmes, il faut qu’on s’entre-aide et qu’on travaille entre femmes pour s’imposer dans ce milieu.

POURQUOI UNE BD SUR LE MANIFESTE DES 343 ? COMMENT L’AS-TU RÉALISÉ ?

Je suis féministe et je trouve indispensable de défendre le droit des femmes, de transmettre ce qu’a été le parcours de tant de femmes pour obtenir le droit à l’avortement. On a retrouvé la journaliste à l’initiative du manifeste, on l’a rencontrée et elle nous a raconté l’histoire, elle nous a donné beaucoup de détails. Avec la co-autrice, on a fait une grosse partie du travail dans les bibliothèques, on a aussi rencontré des actrices qui ont signé le manifeste à l’époque. L’objectif premier était vraiment de faire comprendre qu’il n’y a encore pas si longtemps, on pouvait mourir de son avortement en France. On souhaitait également rendre hommage au combat de ces femmes qui ont pris des risques pénaux, aux actrices qui ont pris des risques en signant alors même qu’elle n’avait pas avorté mais pour protéger des anonymes qui elles l’avaient fait. Avec l’actualité sur le droit à l’avortement remis en cause aux Etats-Unis, en Pologne, il faut rester vigilant et conscient de ces combats et de ces dangers.
La BD était au départ un projet audiovisuel de série mais un éditeur a été séduit par le scénario et ensuite la sortie de la BD m’a ouvert de nouvelles portes. J’ai reçu ensuite des commandes de producteurs sur le sujet des femmes et ça me plait car quand on est une femme et qu’on travaille, on rencontre de très nombreux obstacles et j’ai envie d’aider à veiller à ce que les femmes aient les moyens de leur émancipation, pour qu’un jour, le droit des femmes ne soit plus un problème.

COMMENT METTRE EN PAUSE SA VIE PROFESSIONNELLE POUR SE LANCER DANS UN TEL PROJET ?

Pour se lancer, je pense qu’il faut avoir un petit matelas de sécurité. J’avais des économies et je continuerai d’écrire tant que je le pourrai financièrement. C’est un risque mais selon moi, il faut faire les choses quand on le peut et ne pas attendre. Ensuite advienne que pourra.

ALORS POURQUOI AVOIR ATTENDU « AUTANT » ?

Cela doit venir de mon milieu d’origine qui me disait qu’il fallait faire un métier sérieux, d’abord assurer une carrière, passer des concours etc. Tout ça m’a confortée dans mon estime de moi. En tant que fille j’avais un syndrome de l’imposteur puis un jour, j’ai décidé de m’occuper de moi-même et d’écrire des histoire pour essayer de transformer le monde mais aussi d’avancer dans ma propre vie. Les histoires permettent de réfléchir sur soi, d’avancer, évoluer, progresser. C’est important pour la vie de la cité.

QUELLE CONCLUSION FAIRE DE CET ÉCHANGE ?

Mesdames, tous les réseaux féminins sont à investir. Il faut constituer une vraie force féminine car les forces des hommes sont tellement ancrées qu’il faut montrer qu’on peut faire des choses intéressantes. Il faut qu’on prenne de la place et s’il faut des lois, des quotas pour cela, profitons-en pour inventer un nouveau modèle de société. Je suis persuadée qu’on a en nous un autre modèle.