Portrait du réseau #18 – Clémence Bodoc

« Tu sais si tu es une bonne manager si tu es capable d’embaucher des gens meilleurs que toi. »

Clémence Bodoc est diplômée de Sciences Po Lille en 2010. Elle a travaillé dans le groupe de BTP et construction Eiffage en audit, elle a ensuite été journaliste puis rédactrice en chef de Madmoizelle avant de lancer son propre podcast, Tuto Conquérir le monde. En parallèle, elle travaille comme responsable communication dans une entreprise de conseils sur la transition écologique et sociale.


TU AS COMMENCÉ TA CARRIÈRE CHEZ EIFFAGE, QUELS ONT ÉTÉ TES PRINCIPAUX DÉFIS DANS CE GROUPE ?

J’ai commencé en stage puis j’ai signé un CDI. Mon objectif était d’entrer dans un grand groupe et haut dans la hiérarchie, ce qui était le cas. Mais je me suis épuisée à vouloir faire mes preuves. Au bout de trois ans, j’ai fait un burn-out. Sur un chantier, une femme peut faire ses preuves. La première fois, elle va se faire chambrer, et quand tout le monde voit que le bâtiment tient, c’est bon. Dans les bureaux, il y a des gens qui ont de bons postes sans bosser beaucoup, et ils se sentent menacés. Personne ne voulait travailler sous mes ordres donc je ne pouvais jamais être cheffe de mission. Je ne pesais jamais sur l’organisation de la mission. Je me suis aussi épuisée à faire des choses avec lesquelles je n’étais pas d’accord.

AS-TU TROUVÉ DES SOLUTIONS À CETTE SITUATION AVEC DU RECUL ?

J’ai essayé d’être appréciée et respectée. En y réfléchissant, je connais beaucoup de femmes appréciées mais qui se font marcher dessus et beaucoup de femmes qui sont respectées mais pas aimées. On évolue dans un monde viril et on n’a pas les codes. Aujourd’hui je choisirais d’être respectée. C’est ce que je raconte dans mon roman. Des jumelles entrent dans deux boîtes bien différentes et elles doivent s’adapter sauf qu’elles ne connaissent pas les règles du jeu. J’aurais aimé connaître les règles du jeu. J’aimerais éviter à des jeunes femmes de payer le prix fort de ces leçons. Il faut se serrer les coudes. Le premier conseil que je donnerais c’est de s’avouer que ce qu’on vit ce n’est pas normal.

TU AS ENSUITE TRAVAILLÉ SIX ANS CHEZ MADMOIZELLE, DONT TROIS À LA RÉDACTION EN CHEF, QU’AS-TU APPRIS ?

J’ai conscience aujourd’hui que je n’étais pas toujours parfaite. Tu sais si tu es une bonne manager si tu es capable d’embaucher des gens meilleurs que toi. Les mauvais se sentent menacés, ils veulent rester au-dessus, ils ne supportent pas qu’un petit jeune ait une meilleure idée qu’eux. Le manager est le chef d’orchestre, comme les musiciens il est essentiel mais on ne lui donne pas un violon. Ensuite, il faut savoir écouter. Si quelqu’un vient de te voir c’est qu’il a besoin d’écoute, et pas forcément d’une solution. Prendre ce temps lui permet d’avoir confiance et de venir plus vite te voir en cas de problème. Dernière chose ; ce n’est pas grave d’avoir tort, de douter, de ne pas savoir. Je pensais que je devais avoir réponse à tout pour éviter qu’on me pense incompétente. Mais c’est le contraire. Avoir tort montre qu’on est humaine et améliore la confiance.

TU AS LANCÉ UN PODCAST IL Y A UN AN SUR LA CONQUÊTE DU MONDE, QU’EST-CE QUI T’A DONNÉ ENVIE DE TE LANCER ?

Après Madmoizelle, j’avais besoin de faire le point. Ce que j’avais adoré c’était le partage avec les gens. Lancer ce podcast a été thérapeutique. Je voulais me prouver que j’étais capable de travailler, de tenir un rythme, et j’ai réussi, je n’ai pas raté un rendez-vous. C’était une manière de reprendre le pouvoir sur soi et d’apporter quelque chose aux gens. Au bout de six mois, j’avais 200 000 écoutes, c’est super pour un podcast indépendant.

COMMENT MENER TOUS CES PROJETS DE FRONT ?

J’ai appris à cloisonner. J’organise chaque parcelle de ma vie – militante, professionnelle, artistique, professionnelle – comme si c’était du pro justement. Et pour le sommeil, j’éteins mes téléphones la nuit.